Excerpts from Bouches du Mississipi et Voyage a Travers
le Continent depuis les còtes du Texas
jusqu'a Québec (1669-1698)
Published in Paris by Imprimerie de D. Jouaust, 1878.
Relation de Joutel - Octobre 1687
Nouveau Séjour : De L'Abbé Cavalier et de ses conpagnons su Fort Saint-Louis
L'on donna un appartement perticulier à M. Cavelier; pour le Père Anastase et nous, nous logeasmes dans le magasin, et nous mangions tour ensemble. Ces messieurs s'asseurèrent de deux Sauvages pour chasses; ceux cy nous entretinrent de viande de chevreuil, don't nous ne manquasmes pas pendant la saison que ces animaux et les autres sortes de gibier sone gras et bons, attendu qu'ils mangent le gland et les noix, don't il y a abondance, ainsi que quantité d'autres fruits.
Nous trouvasmes, par exemple, dans les bois, en retournant, plusiers pommiers chargez de pommes sauvages, fruit bien aigre, que l'on appelle en Normandie Bouquet ; nous en mangeasmes de cuites dand la chaudière. Il y a aussi des vignes, de houblon, des noisettes et autres sorte de fruits dont je ne puis faire le detail, en ce que je n'ay pas esté assez longtemps au dit lieu pour les avoir veus, mais les François qui estoient au dit fort me dirent qu'ils avoiment veu des vignes sur une rivière, qu'ils nommient des Miamis, où il y a avoit de très beaux raisins et fort doux, outré quantité d'autres sortes de fruits. Il croist sur le bord de la rivière des Illinois une espèce de chanvre, laquelle vient fort haute et que l'on dist estre meilleure que celle de France; du moins elle résiste mieux à l'eau, lorsque l'on en fair des filets.
Al'esgard du pays, il ne peut pas ester blus beau, et je puis dire que le pays des Illinois est accompli, et que l'on y pourroit avoir toutes les choses necessaries à la vie et à l'entretien, car à la beauté don't il est orné il joint la fertilitV. Quant à sa situation, comme je n'avois ny astrolabe, ny boussole, ny autres instruments pour prendre hauteur, je ne sçaurois rein dire ni de sa latitude ni de sa longitude. Il y a une prairie d'environ demi lieue de large, dans laquelle la riviére a son cours, et quise termine par des costeaux d'une moyenne hauteur.
Il vient en abondance, dans lat dite prairie, des herbes fort hautes et grosses. Il y aussi dans la riviére quantité d'isles de différentes grandeurs, contenant des arbres d'espece diverses; les Sauvages cultivent quelques unes de ces isles, dans les quelles ils sèment du bled d'Inde et autres legumes, qui y viennent fort bien et en abondance. Sur les costeauz, l'herbe y est plus fine; les pierres ou roches sont comme une espèce de grès ou plaster, ou du moins cela est luisant. Au dessus de ces costeaux il y a bien six pieds de terre plus noire et qui paroist fort bonne; les arbres qui sont dessus sont des chesnes et des noyers pour la pluspart; derrière des bois sont de grandes plaines et des campagnes à perte de veue, pleines de belles herbes fines. Il se trouve cependant sur certains costeaux des endroits renferment des mines de charbon de terre; elles sont sure le bord de la rivière ou sur s'autres qui s'y deschargent: ce charbon est fort bon; le forgeron qui estit au fort s'en servoit lorsque nous y estions. Dans d'sutres endroits, il y a de mines ou carriers d'arboises, et je ne doute pas qu'il n'y ait d'autres métaux de plus grande valeur que ceux que j'ay nommez, quoyqu'ils soient fort bons et utiles pour la commodité de ceux qui haiteroient le dit pays.
Quelques François voyageurs me dirent avoir veu des mines de plomb très fin, auquel il ne doit y avoir que très peu de diminution. Les dites mines contiennent un grand espace de terrain et sont sur le bord d'une revière, ce qui donneroit de la facilité pour les faire valoir et les transporter. En outré, la commodité des bois et du charbon n'est pas d'une petite consequence; de plus, les autres arbres, propres à faire des bateaux pour transporter tous ce que l'on voudroit faire descendre ou monter dans toutes ces rivières, concourroient à establir un commerce très considerable, ainsi que les pelleteries et les cuirs, don't il se trouveroit abondance. Il ne faudroit donc, pour tirer de grandes richesses de ce pays, que du monde, qui y pourroit subsister bien plus facilement que dans quantitéd'autres, où l'on a fait des dispenses immenses pour des establissemens qui sont de peu de rapport et de petite consideration.
Relativement à ce qui se faisoit dans celuy-là, M. de Boisrondet, commis au fort, avoit semé ou fait semer un peu de bled froment que l'on avoit apporté du Canada. Il en recuillit bien sept à huit minots de très peu qu'il avoit semé, et que mesme il avoit versé, les terres estant si fortes et si grasses qu'il seroit presque à propos de planter le bled au piquet. Quoyque le dit bled nu fust pas bien nourry, il ne laissoit pas de faire de bon pain, dont nous mangeasmes de fois à autre, pendant que nous demeurasmes au dit lieu ; comme il n'y avoit pas une quantité suffisante pour nager tousjours, nous mangions généralement du bled d 'Inde, leqluel nous sembloit assez bon et l'est en effet. Il y a avoit au dit fort, pour la mouture, un petit moulin d'acier, ce qui estoit plus commode que de le piler, comme font les Sauvages. Il ne faut pas douter que tout ne vienne bien audit pays, veu qu'il est tempéré et qu'il y fait froid et chaud, car la rivière, encore que son cours soit assiz rude au dessus du fort, ne laisse pas d'estre prise et glacée l'espace de cinq semaines, et l'on alloit dessus à la chasse. Les chasseurs faisoient de traisneaux sur lesquels ils plaçoient deux or trois chevreuils, qu'ils traisnoient après eux aven bien plus de facilité, qu'ils n'en auroient porté la moitié d'un ; et mesmes, lorsqu'il arrive de marchandises du Canada et qu'il n'y a point d'eau à la rivière ou qu'elle est glacée, l'on va chercher les marchandises avec des traisneaux ; l'on fait de grappins pour marcher plus ferme sur la glace. Quoyque la rivière fut gelée, il ne lalissoit de faire de très beaux jours. Comme il y avoit du bled, nous en fusmes semer avant les gelées, pour voir, s'il seroit à propos de faire ~a la manière de France ; maid comme je n'en ay point eu de nouvelles depuis nostre départ, je ne sçais s'il sera bien venu.